Gertjan Verdickt
Column

La véritable force de Warren Buffett : la fidélité à une stratégie simple

Warren Buffett a annoncé son départ de Berkshire Hathaway cette semaine. La fin d’une ère (fascinante).

Warren Buffett est souvent présenté comme un génie de la finance, aux rendements inégalables. Derrière les chiffres impressionnants de Berkshire Hathaway, ne vous attendez cependant pas à trouver de recette secrète ni d’approche magique de l’investissement. Il ressort au contraire des recherches empiriques approfondies menées par MM. Frazzini, Kabiller et Pedersen que les performances de Warren Buffett s’expliquent en grande partie par son exposition constante à des facteurs d’investissement simples et bien compris, ainsi que par sa capacité exceptionnelle à s’y tenir pendant des décennies.

Illustration 1 : Performance

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Le portefeuille de M. Buffett se compose principalement d’actions de grandes entreprises de haute qualité, à faible risque et dont la valorisation est attrayante. Il s’agit de sociétés dont les bénéfices sont stables, les marges élevées, les flux de trésorerie prévisibles et les bilans solides : des sociétés qui se distinguent par leur « qualité », leur « valeur » et leur « faible bêta », dans le jargon des spécialistes factoriels. Ce n’est pas parce qu’il a eu accès à des informations uniques ou qu’il a constamment devancé le marché que ses rendements sont exceptionnels. C’est parce qu’il a investi de manière structurelle dans un segment du marché dont les rapports risque-rendement sont historiquement bons, et qu’il a continué à le faire, sans jamais dévier.

Une fois que les chercheurs ont vérifié l’exposition systématique de M. Buffett aux facteurs, il s’est révélé que son « alpha » (la composante de ses rendements qui n’est pas expliquée par les facteurs de risque) disparaissait largement, d’un point de vue statistique. Il en allait tout particulièrement ainsi pour le portefeuille d’actions publiques de Berkshire Hathaway. M. Buffett n’investit donc pas dans des gagnants aléatoires, mais dans une partie cohérente du marché qui est également accessible à d’autres investisseurs. Il y ajoute ensuite un effet de levier modéré mais structurel, financé principalement par les activités d’assurance de Berkshire. Dans la pratique, ce que l’on appelle le float, les primes qu’il reçoit pour les sinistres futurs, constitue une source de financement stable et bon marché. Cela lui permet d’augmenter son exposition aux facteurs d’investissement souhaités, sans s’exposer à des coûts de financement élevés ni à des risques de liquidité.

Ces éléments constitutifs (valeur, qualité, faible bêta et effet de levier) ne sont toutefois pas uniques en soi. Ce qui distingue M. Buffett, c’est son extraordinaire discipline. Dans les périodes d’euphorie, lorsque le marché se rue sur les valeurs technologiques à la mode ou les entreprises en forte croissance, il s’en tient à ses principes d’évaluation terre-à-terre. Mais il maintient aussi le cap dans les périodes de pertes, comme à la fin des années 1990, lorsque Berkshire a perdu 44 % de sa valeur, tandis que le Nasdaq explosait. Cette constance est plus rare qu’on ne le pense et, selon l’étude, elle constitue peut-être la principale explication de son succès. M. Buffett n’a pas le ratio de Sharpe le plus élevé de tous les temps. Celui-ci s’élève 0,79, ce qui est élevé, mais pas extraordinaire. Par contre, il a réalisé ce ratio sur plus de 40 ans. Et ça, c’est exceptionnel.

Pour les investisseurs institutionnels, la principale leçon à tirer est donc que le succès de Warren Buffett n’est pas un mystère, mais une confirmation de ce que la science financière sait depuis belle lurette. Les entreprises bon marché et de haute qualité ont des rendements supérieurs à la moyenne, sur le long terme. L’effet de levier peut renforcer cette stratégie, s’il est utilisé avec précaution. Mais le facteur crucial est le comportement : la capacité à s’en tenir à une stratégie, même lorsque le marché semble dicter d’autres choix.

Ce n’est pas son talent à prédire l’avenir qui rend Warren Buffett unique, mais le fait de s’en tenir à des principes qu’il défend depuis les années 1960. C’est admirable, certes, mais aussi imitable… à condition d’avoir la discipline nécessaire pour ne pas changer de cap.

Gertjan Verdickt est professeur assistant de finance à l’université d’Auckland et chroniqueur pour Investment Officer.