Le point de vue de Jan Longeval : « Le marché obligataire japonais s’agite »

Longeval

Avec les politiques erratiques de Donald Trump, tous les regards se tournent vers le marché obligataire américain, où les « justiciers obligataires » se sont déchaînés. Mais la situation est également tendue sur le marché obligataire japonais. C’est peut-être ce qui devrait nous préoccuper davantage.

Une onde de choc a balayé les marchés financiers en août 2024. Elle prenait sa source au Japon, et plus précisément à la Banque du Japon, qui a abandonné sa politique rigide de taux d’intérêt zéro introduite en février 1999 et a relevé les taux d’intérêt à 0,25 %. L’établissement a également commencé à réduire progressivement ses achats massifs d’obligations d’État (JGB). Les spéculateurs qui avaient misé des centaines de milliards de dollars sur les opérations de portage japonais pendant des années ont ainsi tiré la sonnette d’alarme.

Le portage, ou carry trade, consiste à emprunter dans une devise à faible taux d’intérêt et à l’échanger contre des devises à taux d’intérêt plus élevé, telles que le dollar américain, le dollar néo-zélandais et le peso mexicain. Tant que le taux de change du yen reste stable, le spéculateur perçoit le différentiel de taux d’intérêt. Et comme le yen s’est régulièrement déprécié, il a bénéficié d’un gain de change supplémentaire. Le revirement majeur de la Banque du Japon a menacé de rendre ce portage moins attrayant, ce qui a entraîné une réduction des positions.

Lorsqu’il pleut au Japon…

Comme c’est souvent le cas sur les marchés financiers, une boucle de rétroaction s’est mise en place. Les carry traders ont racheté des yens pour rembourser leurs dettes, ce qui a provoqué une forte appréciation du yen (+13 % en un mois), qui a conduit d’autres carry traders à essuyer de lourdes pertes, inévitablement suivies par des appels de marge. C’est ainsi que l’on obtient à nouveau des bonnes affaires sur les marchés financiers. La tempête est passée assez rapidement, mais le message est que lorsqu’il pleut au Japon, le reste du monde peut être mouillé. 

Le Japon dispose d’énormes excédents d’épargne, gérés par les grands acteurs institutionnels, qui ont investi 4600 milliards de dollars à l’étranger en quête de rendements. Ce dernier point peut être pris au pied de la lettre, car même les titres d’État japonais à très long terme n’ont pratiquement pas rapporté d’intérêts pendant des années. Mais la situation a radicalement changé. En effet, les taux d’intérêt à long terme au Japon sont montés en flèche.

En mai, les rendements à 40 ans ont augmenté de 3,7 %, un nouveau record depuis le lancement de ce type d’obligations en 2007, et les rendements à 20 ans ont dépassé les 3 %, leur niveau le plus élevé depuis 25 ans. Les rendements obligataires ont depuis baissé un peu, mais les niveaux restent suffisamment élevés pour rendre les obligations japonaises à nouveau attractives pour les investisseurs nationaux, et le yen semble avoir entamé une hausse structurelle.

Catastrophe financière

En résumé, les investisseurs japonais ont de bonnes raisons de liquider leurs actifs étrangers. Et cela est important pour le marché obligataire américain. En effet, le Japon est le premier investisseur étranger dans les titres d’État américains. Selon Albert Edwards, de Société Générale, « tenter de comprendre et de suivre la hausse du marché obligataire japonais à long terme devrait être la première préoccupation de tous les investisseurs ». Il affirme qu’une nouvelle hausse de ces taux d’intérêt pourrait provoquer une « catastrophe financière mondiale ».

Le Japon est également l’ultime test pour savoir jusqu’où un pays développé peut aller dans ses aventures monétaires et budgétaires. La dette publique du Japon s’élève à 11 000 milliards de dollars, soit 250 % du PIB, le double du ratio américain. Pour maintenir cette dette à un niveau abordable et rendre la vie difficile aux vendeurs à découvert, la Banque centrale du Japon a levé tous les freins monétaires et a acheté la moitié de tous les JGB en circulation. Tant que cela n’a pas entraîné une inflation galopante, le Japon s’en est sorti, aidé en cela par le fait que seulement 12 % de la dette publique japonaise est détenue par des étrangers.

Mais la longue période de faible inflation est terminée. L’inflation japonaise est sortie du creux et atteint aujourd’hui 3,5 %, ce qui est bien supérieur à l’objectif de 2 %. Certains faucons de la Banque du Japon préconisent de nouvelles hausses des taux d’intérêt. Il est peu probable que les taux d’intérêt directeurs soient relevés prochainement, comme c’est le cas dans les pays occidentaux. Toutefois, la grande question est de savoir si le Japon peut tolérer des taux d’intérêt élevés à long terme, et pendant combien de temps.

Pendant 20 ans, le Japon a pu financer gratuitement sa montagne de dettes. Si un taux d’intérêt à long terme de 3 % se répercute progressivement sur les charges d’intérêt moyennes et que le taux d’endettement continue d’augmenter, la facture d’intérêts atteindra 10 % du PIB, et ce dans un pays dont les perspectives démographiques sont désastreuses. M. Edwards s’est déjà trompé dans son pessimisme, mais sur ce point il a raison. En tant qu’investisseurs, le Japon mérite toute notre attention.

Professeur adjoint de Finance à la Vlerick Business School, Jan Longeval a fondé Kounselor Consulting. Il partage son expertise de l’investissement dans une chronique mensuelle pour Investment Officer